RETENUE A LA SOURCE – DIVIDENDE

1 Jan

Cour administrative d’appel, Versailles, 3e chambre, 12 Décembre 2017 – n° 15VE02634

1. Considérant que la société Findim Investments, société de droit suisse, résidente de Suisse, a perçu de 2004 à 2007 des dividendes de la société française Cogifrance, dans laquelle elle détenait une participation égale à 8 % du capital, n’ayant pas ouvert droit à l’exonération prévue aux articles 145 et 216 du code général des impôts ; que ces dividendes ont été, en application des dispositions du 2 de l’article 119 bis, soumis à la retenue à la source au taux conventionnel de 15 % ; que, par voie de réclamation adressée à l’administration le 29 décembre 2008, la contribuable a sollicité la restitution des retenues ainsi prélevées au motif, notamment, qu’elle est traitée moins favorablement qu’une société-mère française exonérée d’impôt sur les dividendes en méconnaissance du principe de la liberté de circulation des capitaux protégé par l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris depuis le 1er décembre 2009 à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ; qu’à la suite du rejet de sa réclamation, la société Findim Investments a saisi le Tribunal administratif de Montreuil ; que, par un jugement du 19 mai 2015, le tribunal, après avoir déclaré irrecevable la demande de restitution des retenues à la source prélevées au titre des années 2004 et 2005, a ordonné la restitution à la société Findim Investments de celles prélevées au titre des années 2006 et 2007, mis à la charge de l’État le versement, à celle-ci, d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la demande de la société ; qu’en appel, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS sollicite l’annulation des articles 1 et 2 de ce jugement et le rétablissement, en conséquence, des retenues à la source prélevées au titre des années 2006 et 2007, dont la restitution a été prononcée ; qu’à titre incident, la société Findim Investments sollicite l’annulation de l’article 3 de ce jugement et, par suite, la restitution des retenues à la source prélevées au titre des années 2004 et 2005 ;

Sur l’appel principal :

2. Considérant qu’aux termes des dispositions du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable :  » Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187-1 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (…)  » ; que les dividendes figurent au nombre des produits visés aux articles 108 à 117 bis de ce code ; qu’en application de l’article 187 du même code, le taux de la retenue à la source est fixé, en principe, à 25 % du montant de ces revenus ; qu’en l’espèce, les dividendes litigieux ont subi le prélèvement à la source au taux de 15 % prévu au paragraphe 2 de l’article 11 de la convention fiscale franco-suisse ;

3. Considérant qu’en application du régime fiscal des sociétés mères, notamment défini à l’article 216 du code général des impôts  » Les produits nets des participations (…) touchés au cours d’un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges (…) est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris. Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d’imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période  » ; que, selon le 1 de l’article 145 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, le régime fiscal des sociétés mères  » est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. Les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l’administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; (…) c. Les titres de participations doivent avoir été souscrits à l’émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l’engagement de les conserver pendant un délai de deux ans  » ;

4. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’une société établie en France, qui reçoit des dividendes versés par une société résidente, et relève du régime fiscal des sociétés mères est exonérée d’impôt à raison de ces dividendes, alors que les dividendes versés par une société résidente à une société située dans un Etat tiers font l’objet d’une retenue à la source sur leur montant brut ;

5. Considérant que le ministre soutient qu’en omettant de rechercher si la société Findim Investments a eu la possibilité d’imputer un crédit d’impôt dans son Etat de résidence par l’effet de la convention fiscale franco-suisse et de vérifier si la liberté de circulation des capitaux pouvait être étendue à la Suisse et, dans l’affirmative, dans quelles conditions, le tribunal n’a pas été en mesure de caractériser l’existence d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée par l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; qu’en défense, la société intimée fait valoir que sa situation est comparable à celle d’une société résidente susceptible de bénéficier du régime fiscal des sociétés mères, dont elle remplit les conditions objectives énumérées à l’article 145, en vertu duquel les dividendes reçus sont exonérés d’impôt ; que, par suite, la différence de traitement fiscal de ses dividendes, en fonction du seul lieu de résidence, contrevient au principe de la liberté de circulation des capitaux, mais également à l’article 26 de la convention franco-suisse, qui interdit les discriminations selon la nationalité ;

Sur la méconnaissance de la liberté de circulation des capitaux :

6. Considérant qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites  » ; qu’aux termes de l’article 65 du même traité :
 » 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres : a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; (…) [toutefois] 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements (…)  » ;

7. Considérant qu’il résulte de ces stipulations, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans son arrêt du 8 novembre 2007, Amurta SGPS (aff. C-379/05, point 32), que, lorsqu’un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l’égard de contribuables résidents et non-résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu’il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement qu’elle instaure entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ; que la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par la législation en cause ;

En ce qui concerne la comparabilité des situations et l’existence d’une restriction :

8. Considérant qu’il résulte de l’ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l’article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l’exercice 1920, de l’article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l’article 45 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des article 20 et 21 de la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l’imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l’article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l’origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d’impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu’elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l’implication de sociétés mères dans le développement économique des sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l’économie française ;

9. Considérant qu’en excluant d’exonérer les dividendes perçus par des sociétés, dont le siège social est en Suisse, au seul motif qu’elles ne sont pas passibles de l’impôt sur les sociétés, alors que ces sociétés sont assujetties à un impôt équivalent dans leur Etat de résidence et remplissent les autres conditions objectives du régime des sociétés mères énumérées à l’article 145, qui auraient permis qu’elles en bénéficient si elles avaient été établies en France, les articles 145 et 216, combinés aux dispositions du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts dissuadent les sociétés résidentes de Suisse d’investir leurs capitaux dans des sociétés françaises et sont également de nature à constituer un obstacle à la collecte de capitaux, nécessaires à leur développement, par ces sociétés françaises auprès de sociétés établies dans d’autres Etats, tels que la Suisse ; que, compte tenu de ce que le critère de distinction selon lieu de résidence de l’investisseur est sans pertinence pour la réalisation de l’objectif de développement de l’économie française assigné par le législateur français au régime des sociétés mères et alors que, du point de vue de l’imposition des dividendes, la situation d’un actionnaire non résident se rapproche de celle d’un actionnaires résident, la restriction aux mouvements de capitaux entre les Etats-membres et les pays tiers que ces dispositions impliquent est, en principe, interdite par l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

10. Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment des attestations délivrées par les autorités confédérales et cantonales helvétiques, et n’est pas contesté par le ministre, que la société Findim Investments remplissait les conditions d’octroi du régime des sociétés mères mentionnées aux a., b. et c. de l’article 145 du code général des impôts et que, par ailleurs, elle était assujettie  » selon les critères ordinaires, soit à l’impôt fédéral direct, soit à l’impôt cantonal du Tessin et communal  » ; que, dès lors, pour l’imposition des dividendes, sa situation d’actionnaire se rapproche de celle d’une société mère française exonérée d’imposition sur ses dividendes ; que, dans cette hypothèse, il appartient à l’Etat de la source des dividendes de veiller à ce que ceux versés à une société mère non résidente fassent l’objet d’un traitement équivalent à ceux versés à une société mère résidente, soit de manière unilatérale, soit dans un cadre conventionnel afin de prévenir leur double imposition économique, dès lors que l’éventuelle discrimination en découlant résulte de l’exercice, exclusif, par cet Etat, de son pouvoir d’imposition ;
11. Considérant que la société Findim Investments justifie, sans être sérieusement contredite, qu’elle n’a pas été en mesure d’éliminer, même partiellement, la double imposition économique subie par ses dividendes de source française dès lors qu’exonérée d’impôt sur ces revenus en Suisse, il n’existait aucune quotité d’impôt suisse afférente à ces dividendes sur laquelle imputer les retenues à la source en application du a) du 2 du B de l’article 25 de la convention fiscale franco-suisse, ni, a fortiori, de possibilité de réduction forfaitaire de cet impôt au sens du b) ou de déduction de l’impôt français sur le montant brut des dividendes reçus de France en vertu du c) de ces mêmes stipulations, faute d’imposition effective de ces revenus de participation ;

12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et alors que le ministre ne se prévaut pas – d’ailleurs à bon droit – de la clause de gel prévue à l’article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne selon laquelle l’article 63 du traité ne porte pas atteinte à l’application, aux Etats-tiers, des restrictions existant au 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent notamment des investissements directs, que la société Findim Investments est fondée à soutenir que la législation française, en ce qu’elle impose à la source les dividendes versés à une société mère suisse, mais choisit de les exonérer lorsqu’ils sont versés à une société mère résidente, est à l’origine d’une restriction aux mouvements de capitaux, en principe, contraire à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

En ce qui concerne le caractère justifié et proportionné de cette restriction :

13. Considérant que, dans ses écritures d’appel, le ministre se borne, d’une part à soutenir qu' » en omettant de prendre en compte la particularité du contexte juridique différent des mouvements de capitaux entre Etats membres et entre Etats membres et Etats tiers, tel que la Suisse, les premiers juges n’ont pas recherché si la restriction alléguée était justifiée  » et, d’autre part à renvoyer au point n° 69 de l’arrêt  » Commission c/Italie  » (C-540/07) du
19 novembre 2009 par lequel la Cour de justice rappelle que  » la jurisprudence relative aux restrictions à l’exercice des libertés de circulation au sein de la Communauté ne saurait être intégralement transposée aux mouvements de capitaux entre les États membres et les États tiers, de tels mouvements s’inscrivant dans un contexte juridique différent (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, A, C-101/05, Rec. p. I-11531, point 60).  » ; que, par ces seuls éléments, le ministre ne démontre pas, en la circonstance, l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général, telle que, par exemple, la nécessité de sauvegarder l’efficacité des contrôles fiscaux, ni, a fortiori, l’impossibilité dans laquelle l’administration aurait été, en pratique, d’exercer un contrôle fiscal efficace sur des sociétés suisses ; qu’à défaut d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général respectueuse du principe de proportionnalité, la restriction aux mouvement de capitaux relevée au point précédent méconnaît les stipulations de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Sur le quantum des restitutions de retenue à la source :

14. Considérant que le ministre soutient que, dans l’hypothèse où la Cour ferait droit à la demande de restitution des retenues à la source prélevées au titre des années 2006 et 2007, il y aurait lieu d’en limiter le montant aux sommes de 48 984,5 euros pour 2006 et 290 475,15 euros pour 2007 correspondant à une retenue assise sur 95 % du montant des dividendes distribués, soit après défalcation de la quote-part de frais et charges prévue à l’article 216 du code général des impôts, une société mère française étant elle-même imposée, au taux normal de 33.1/3 %, sur 5 % du montant des dividendes reçus par elle ;

15. Considérant qu’en vertu de l’article 38-1 du code général des impôts :  » (…) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (…)  » et que selon le 1. de l’article 39 du même code :  » (…) Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (…)  » ; qu’il résulte des dispositions combinées de ces deux articles, applicables à l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code, que le bénéfice net passible de ce dernier impôt est constitué par la différence entre les produits imposables et les charges qui y sont attachées ; qu’il suit de là que l’intégration, dans le bénéfice net imposable d’une société mère, de la
quote-part de frais et charges mentionnée à l’article 216, a seulement pour objet de neutraliser la déduction, autorisée par ailleurs, des charges supportées par cette société à raison de la gestion de ses titres de participation dont les dividendes qui en sont issus sont exonérés d’impôt sur les sociétés et ne donnent donc lieu à aucun produit imposable ; que, dès lors, et contrairement à ce que soutient le ministre, ce n’est que dans la mesure où le bénéfice passible de l’impôt sur les sociétés est un bénéfice net de charges de gestion de participation non créatrices de revenus imposables qu’il y a lieu de les réintégrer au résultat fiscal ; qu’il est constant que les retenues à la source litigieuses ont été assises sur le montant brut des dividendes distribués, et non sur un montant net de charges de gestion de participation ; que, par suite, les retenues à la source ne peuvent qu’être restituées dans leur intégralité ; que la demande subsidiaire du ministre ne peut dès lors être accueillie ;

16. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n’est pas fondé à demander l’annulation des articles 1 et 2 du jugement qu’il attaque ;

Sur l’appel incident :

17. Considérant qu’un appel incident est recevable, sans condition de délai, s’il ne soumet pas au juge un litige distinct, portant notamment sur des années d’imposition différentes, de celui soulevé par l’appel principal ; que les conclusions incidentes de la société Findim Investments portent sur les retenues à la source prélevées au titre des années 2004 et 2005, alors que l’appel du ministre ne porte que sur celles des années 2006 et 2007 ; qu’ainsi, elles doivent être rejetées comme étant irrecevables ;

Sur les conclusions de la société Findim Investments tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat le versement, à la société Findim Investments, de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à la société Findim Investments une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de l’appel incident de la société Findim Investments est rejeté.

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